Professeur : tu es le meilleur jardinier de notre société - Le billet de Nicole Ferroni
Dans cette chronique, Nicole Ferroni est lourde, la faute à son cœur qui est lourd, comme son humour, car très touchée par la mort de Samuel Paty. En effet, elle aussi fut enseignante.
« Nicole on me dit que vous êtes lourde... Oui mais c'est la faute à mon cœur, qui est lourd comme mon humour. Car malgré mon contrat de clown, l'actualité de la semaine m'a évidemment tiré plus de pleurs que de rires. Alors vous me direz : Nicole, de quoi avez vous pleurs ? Qu'est-ce-qui alourdi vos yeux et votre cœur ? Et ben, évidemment, je vais pas y aller par 4 chemins, parce que je n'ai que deux jambes..mais comme beaucoup j'ai été très touchée par la mort aussi triste que violente de cet enseignant Samuel Paty. Comme d'autres dans cette radio, enseignant c'est un métier que j'ai pratiqué, et même si c'était il y a longtemps donc je n'ai plus beaucoup de légitimité pour en parler... ça reste la famille. Notamment d'abord pour l'humain que les enseignants ont fait de moi.. : Que ce soit Mme Soulier. Cette instit nous apprenait la marseillaise tout en n'étant pas d'accord avec la strophe « un sang impur abreuve nos sillons..pardon, mais c'est d'une violence pour des enfants». M Ferrera, prof de mathématiques, qui montait sur la table une fois par an chochotant « l'administration m'autorise à monter sur le bureau pour rappeler que les vecteurs ça prend un petit chapeau ». Ou M. Laïk qui en nous apprenant que toute l'humanité avait pour berceau unique le rif africain..comptait bien en filigrane débarrasser nos esprits de toutes cloisons. Il y en eut beaucoup d'autres..comme les professeurs Mauffrey et Munch... Et tous, par leur culture et leur science m'ont transmis de belles valeurs. Car enseigner que les humains ont le même corps et la même origine, c'est nous rendre fraternels. Et savoir que 'humain n'est qu'une espèce ridiculement petit dans l'espace et dans le temps...que faire comprendre que tout est plus grand que nous, donc apprendre l'émerveillement, l'humilité et la dérision. Pour cela, merci...
Et d'autant plus merci que, pour avoir été enseignante après, j'ai pu saisir dans quelles conditions se fait parfois cette vocation. Car enseignant c'est un travail qui permet de rencontrer la joie, mais aussi la difficulté, le doute et souvent la solitude. Et c'est pas facile d'être seul capitaine de plusieurs classes de 30 et quelques élèves..car, de cette portion de société, on est parfois les seuls à en voir les manques.
Je me rappelle, par exemple, m'être sentie assez seule quand prof de SVT dans un collège sensible, je m'étais retrouvée face aux questions : Madame, est-ce-que je reste vierge si on le fait par derrière ? Madame pourquoi la fille elle tombe pas enceinte si on est 5 ? Je m'étais dit : Waow...comment dire ? En fait, il y a beaucoup de questions dans vos questions...et surtout beaucoup de carences qu'à ce moment là, j'étais la seule à voir et pouvoir combler.
Oui, parfois les professeurs sont parfois les seuls réceptacles de leurs élèves, mais aussi des parents, de l'administration, avec pas toujours d'endroit pour poser tout ça...car le droit de réserve, autrement celui de se taire, prévaut sur beaucoup d'autres droits... Et même si certains leur crient d'en haut « Nous cèderons pas » c'est souvent aussi ceux qui ne nous aiderons pas..car ils ne sont pas là dans les classes et que leurs oreilles ne sont pas toujours à l'écoute.
Donc c'est au professeur qu'il revient de composer seul avec les individus et leurs parcours, comme un capitaine doit composer seul avec les vents et des courants pour guider son bateau, dont il est le seul à la barre... Et pire, en cas de problème, on lui demande parfois de ne pas parler trop fort à la radio..Le fameux #pasdevague d'un naufrages silencieux. Oui ramer ou couler, mais en silence s'il vous plaît
Pourtant enseigner, c'est l'opposé de cette solitude que l'enseignant rencontre parfois. Enseigner c'est au contraire transmettre, c'est faire du lien et construire des ponts entre les humains. Comme enseigner une langue resserre le lien entre pays. Comme enseigner l'histoire resserre le lien entre les générations. Et comme enseigner n'importe quoi rapproche tout élève de son destin...car c'est lui donner pour devenir ce qu'il veut.
Bref, professeur, tu es souvent ce vase discret qui reçoit et qui verse... qui se remplit et redistribue. Tu es l'observateur et le soignant..ce parent très polyvalent pas très cher payé pour un grand coût. Et pour ces missions précieuses, personne ne devrait mourir de ce métier. Ni même se sentir menacé, inquiété et abandonné. Car professeurs, tu es le meilleur jardinier de notre société. Tu es le magicien qui transforme, la gardien qui veille..le guérisseur qui soigne. Pour tout cela, je te le redis : merci! »
Jean Jaurès - Extrait de la Lettre aux instituteurs et aux institutrices (1888)
"Vous tenez en vos mains l'intelligence et l'âme des enfants ; vous êtes responsables de la patrie.
Les enfants qui vous sont confiés sont Français et doivent connaître la France, sa géographie et son histoire : son corps et son âme. Ils seront citoyens et ils doivent savoir ce qu'est une démocratie libre, quels droits leur confèrent, quels devoirs leur impose la souveraineté de la nation. Enfin ils seront hommes, et il faut qu'ils sachent quel est le principe de notre grandeur : la fierté unie à la tendresse. Il faut qu'ils puissent se représenter à grands traits l'espèce humaine et qu'ils démêlent les éléments principaux de cette œuvre extraordinaire qui s'appelle la civilisation. Il faut leur montrer la grandeur de la pensée ; il faut leur enseigner le respect et le culte de l'âme en éveillant en eux le sentiment de l'infini qui est notre joie, et aussi notre force.​​​​​​​
Il faut que le maître lui-même soit tout pénétré de ce qu'il enseigne. Il faut qu'il se soit émerveillé tout bas de l'esprit humain. Alors, et alors seulement, lorsque par la lecture solitaire et la méditation, il sera tout plein d'une grande idée et tout éclairé intérieurement, il communiquera sans peine aux enfants la lumière et l'émotion de son esprit. Ah ! Vous serez plus que payés de votre peine, car vous sentirez la vie de l'intelligence s'éveiller autour de vous.
Les enfants ont une curiosité illimitée, et vous pouvez tout doucement les mener au bout du monde. Lorsque vous leur aurez parlé des grandes choses qui intéressent la pensée et la conscience humaine, vous aurez fait sans peine en quelques années œuvre complète d'éducateurs. Dans chaque intelligence il y aura un sommet, et, ce jour-là, bien des choses changeront."
Oxmo Puccino et M lisent Jaurès et Camus qui rendent hommage aux instituteurs.
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